L’épicurisme et son illustration romaine sous la plume poétique de Lucrèce sont des objets d’étude qui connaissent depuis quelques années un regain d’intérêt. Mais si Lucrèce est avant tout étudié pour sa philosophie et pour le rôle imparti à la forme poétique, l’étude de la tradition de son poème reste encore embryonnaire. Dans un tel contexte, ce volume, qui réunit les études de spécialistes de philosophie antique, mais aussi d’historiens des sciences ou de la littérature, s’est donné pour objet d’interroger les conditions de possibilité d’une nouvelle vie pour le De rerum natura au seuil de la modernité.
Les contributions réunies mettent en évidence le caractère décisif du vecteur philologique dans la redistribution de la pensée lucrétienne, les éditeurs se positionnant de manière équivoque en récusant une pensée inconciliable avec le cadre culturel chrétien, tout en soulignant et en explicitant les thèses les plus scandaleuses du matérialisme. Cette « promotion distanciée » de l’épicurisme romain, faite de fascination et d’hostilité, entraîne de nombreux phénomènes insoupçonnés : comment Lucrèce trouve une nouvelle dignité dans des querelles poétiques, voire linguistiques ; comment le christianisme, qui semble le condamner définitivement, peut trouver en son sein aussi bien des concepts qu’une religiosité capables d’être articulés avec la Révélation divine ; combien les facteurs historiques peuvent déterminer l’interprétation et le degré de légitimité de l’anthropologie lucrétienne ; combien la fragmentation du poème en passages fameux peut donner lieu à des hybridations parfaitement inattendues. Parfois retourné contre lui-même, Lucrèce sert aussi à consolider les pensées qui lui sont étrangères, avec lesquelles il aurait pu paraître inconciliable.
Lucrèce devient ainsi un modèle influent, mais hors de ses propres murs, par dérivation accidentelle, en vertu de la faculté de son texte à proposer des réponses ou des prolongements aux systèmes privilégiés par la pensée de la Renaissance. Transmise le plus souvent au prix de mutilations et de métamorphoses importantes, la renaissance de Lucrèce se prolonge au hasard du clinamen des idées, survivant hors de ses limites pour servir une nouvelle représentation de la Nature, peut-être telle qu’il ne l’a jamais comprise.
Ouverture. Lucrèce, la Renaissance et ses naufrages : à propos du « suave mari magno... » · Frank Lestringant
PREMIÈRE PARTIE · LA DIFFUSION DE LA PHILOSOPHIE DE LUCRÈCE
Lucrèce et l’épicurisme. Introduction générale · Jean Salem
Le Lucrèce de Denys Lambin : entre revendication et prudence · John O'Brien
« L’autre moitié du projet » : enjeux philosophiques de l’édition du De rerum natura. Lambin et la dissensio sur le corps de l’âme · Élodie Argaud
DEUXIÈME PARTIE · SCIENCES DE L'HOMME ET DE LA NATURE
Les origines de la société humaine : Lucrèce et l’anthropologie de la Renaissance · Frank Lestringant
L’influence de Lucrèce sur la théorie des éléments à la Renaissance : concepts et représentations · Violaine Giacomotto‑Charra
TROISIÈME PARTIE · CONFÉRER AVEC LUCRÈCE
Lucrèce manifeste, Lucrèce palimpseste dans l’« A pologie de Raimond Sebond » · Françoise Charpentier
Montaigne, annotateur de Lucrèce : dix notes « contre la religion » · Alain Legros
Montaigne et Lucrèce : sur l’illusion et la croyance · Alain Gigandet
QUATRIÈME PARTIE · POÈTIQUE LUCRÉTIENNE
Le De rerum natura comme modèle poétique. Réflexions sur quelques divergences entre l’Italie et la France · Isabelle Pantin
La Spositione de Lucrèce par Girolamo Frachetta et les théories poétiques de la fin du XVIe siècle en Italie · Susanna Gambino Longo
« La forme demeure et la matière se perd » : emplois du De rerum natura chez Ronsard · Edward Tilson
Lucrèce et les commentateurs de La Sepmaine de Du Bartas · Jean Céard
Conclusion · Emmanuel Naya
Index
Activités du centre Saulnier
Membres de l'association V.-L. Saulnier
Table des matières