Du lignage à la "race"
La pureté de sang, la stratification raciale de la société espagnole à l’Époque moderne, tel un thème lancinant, affleure comme le nécessaire substrat dont l’ignorance condamnerait à n’appréhender qu’imparfaitement l’idéologie de la Monarchie catholique.
Si l’on a pu croire que l’exaltation d’un sang « pur de toute macule de sang juif ou maure » (selon l’expression consacrée au xvie siècle) avait comme but originel celui de mieux appréhender le peuple de Dieu en séparant les vieux-chrétiens des nouveaux-chrétiens, la revendication très vite se double d’un ostracisme racial virulent. Loin d’être cautionnée par les cercles religieux – qui dénoncent la division schismatique d’un peuple uni par le baptême –, la pureté de sang s’impose comme le prérequis nécessaire à toute promotion sociale. Dès lors, elle favorise le mythe d’une nouvelle hiérarchie sociale concurrente de la hiérarchie nobiliaire en entérinant l’idée que le roturier, vil par naissance, peut être dépositaire d’un honneur sans égal : celui que confère un sang épuré, seul générateur de dignité publique. Tandis que la névrose pour le sang alimente, dans les autres pays européens des débats féconds sur la « race noble », « la pureté du sang [royal] », elle s’incarne, en Espagne, dans des statuts de « pureté de sang » excluant des charges d’honneur – en théorie du moins – les chrétiens issus des nombreuses conversions de juifs et de maures.
Des conceptions politiques qui induisent le mythe d’une Espagne championne de la cause catholique à celles, biologiques, récusant les nourrices conversas par crainte de la contamination qui pourrait s’ensuivre, ce sont toutes les strates de la société espagnole qui se trouvent ébranlées par ce préjugé du sang. La pureté de sang fut autant une affaire de raison politique que de pouvoir au cœur de la cité, affectant les collèges, les corporations, les ordres et les consciences ; elle fut aussi une affaire de réputation et de scandale, l’affaire d’un mythe supportant la construction d’une « Répública de hombres encantados ».
Avant propos de Georges Molinié, Université Paris-Sorbonne
Introduction
PREMIÈRE PARTIE : Aux origines du sang. Naissance d’une polémique
- L’imaginaire du sang et de sa pureté dans l’ancienne France, Arlette Jouanna, Université Paul-Valéry/Montpellier III
- Du thème du lignage dans le judaïsme en général, et dans le judaïsme sépharade en particulier, Jean-Christophe Attias, EPHE (Université Paris-Sorbonne)
- La polémique autour de la pratique du « statut de pureté de sang », Michèle Escamilla, Université Paris-Ouest, Nanterre
- Sangre guzmana. De Alonso Pérez de Guzman El Bueno à Olivares, Araceli Guillaume, Université Paris-Sorbonne
DEUXIÈME PARTIE : Du lignage et de l’impureté
- Une noblesse en débat au XVe siècle : sang, honneur, vertu, Béatrice Perez, Université Rennes 2
- Los conversos y la hacienda de Castilla a comienzos del siglo XVI, Juan Manuel Carretero Zamora, Université Complutense de Madrid
- Inquisition et « pureté de sang » dans le royaume de Valence (1478-1516) : aux origines d’une nouvelle forme d’exclusion, Patricia Banères, Université Paul-Valéry/Montpellier III
- La construction de la mácula. L’Inquisition de Valence et l’élaboration des généalogies judéoconverses (1505-1507)
José María Cruselles, Enrique Cruselles et José Bordes, Université de Valence
TROISIÈME PARTIE : Des paradoxes de la limpieza
- Le statut de pureté de sang de Tolède et l’identité des vieux-chrétiens, Fabrice Quéro, Université Bordeaux 3
- De la pureté de sang à travers les probanzas enregistrées par le Consejo de la Gobernación de l’archevêché de Tolède (1560-1600). Les trois temps d’une controverse, Ricardo Saez, Université Rennes 2
- El proceso de Hernan Gonzales Nieto con el senorio de Vizcaya (1575-1591), Marta Fernández Vidal, CLEA
- La « pureté de sang » : instrument d’exclusion ou d’intégration des oligarchies locales ? (Cuenca sous le règne de Philippe II), Séverine Valiente, Université Paul-Valéry/Montpellier III
QUATRIÈME PARTIE : Débats et controverses autour de la mácula
- « Limpieza » à Grenade au XVIe siècle, Raphaël Carrasco, Université Paul-Valéry/Montpellier III
- Les ordres religieux et la pureté de sang au XVIIe siècle, Annie Molinié, Université Paris-Sorbonne
- La pureté de sang, une « doctrine bien peu digne d’être imitée » : les intellectuels espagnols du XVIIe siècle face à l’opinion majoritaire de la société vieille-chrétienne, Juan Hernández Franco, Université de Murcie
CINQUIÈME PARTIE : Une obsession diffuse
- Du sang dans les Songes et Discours de Francisco de Quevedo y Villegas. Une noblesse sans nobles ? « Toda la sangre, hidalguillo, es colorada », Delphine Hermès, Université Rennes 2
- De « la pureté du sang » aux préjugés de sang dans le théâtre de Lope de Vega. Las Batuecas del Duque de Alba et El Brasil restituido- Marie-Catherine Barbazza, Université Paul-Valéry/Montpellier III
- Limpieza de sangre y nobleza de los indios: el expediente de don Pablo Agapito Canchaspillau (1744)
Francisco de Borja Medina, Institutum Historicum S.I, Roma
Bibliographie générale